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DE L’ETAT D’IMPUISSANCE A LA LIBERTE

Updated: May 13, 2021


L’être humain est par nature le plus social des animaux. Cela peut sembler paradoxal, surtout lorsque nous regardons nos civilisations. Pourtant, c’est une réalité, d’abord biologique, inscrite au cœur même de notre organisme et plus précisément de notre système nerveux autonome, celui-là même qui contrôle notamment notre rythme respiratoire.


POURQUOI L’ATTACHEMENT A AUTRUI

La raison en est simple. Nous avons besoin d’une société protectrice, notre famille et notre entourage, avec nous pour arriver à maturité. Sans cela nous mourrons.


L’être humain est l’animal le plus longtemps dépendant et vulnérable jusqu’à l’âge adulte. Pendant plus d’une décennie, il dépend totalement de ceux qui prennent soin de lui. Après, il aura toujours un besoin vital d’un entourage bienveillant, même s’il jouit de davantage d’autonomie. D’ailleurs, si l’espèce humaine a la capacité unique chez les primates de vieillir autant, si elle garde en son sein si longtemps des anciens, c’est que ceux-ci font (ou devraient faire) profiter la communauté de leur sagesse. Notre nature sociale et notre biologie se répondent.

C’est donc d’abord pour prendre soin si longtemps de nos enfants que notre cerveau a développé de puissantes capacités d’empathie et d’attachement. Mais ces capacités s’étendent à l’ensemble à notre entourage et bien au-delà. Et inversement notre organisme ne peut survivre sans la bienveillance de nos proches. Celle-ci est même indispensable à notre homéostasie, à notre équilibre vital interne. Nous avons besoin du lien social pour réguler notre organisme jusque dans ses strates les plus profondes.

LE LIEN SOCIAL S’INSCRIT JUSQU’AUX RACINES PROFONDES DE L’ACTION

La découverte capitale de Stephen Porges « la théorie polyvagale » en est l’illustration. Notre être est régulé de manière fondamentale par notre système nerveux autonome : la branche orthosympathique du système nerveux nous permet d’entrer en action tandis que la branche parasympathique (vagale) antagoniste nous engage dans la quiétude et dans diverses activité calmes. Cependant le nerf vagal se subdivise lui-même en deux branches : une primitive (appelée dorsale car elle prend sa source au dos de la medulla oblongata en haut du tronc cérébral), non myélinisée, qui permet l’immobilisation défensive, et une myélinisée (appelée ventrale), beaucoup plus évoluée, qui nous permet l’auto-apaisement et surtout l’engagement social. C’est donc que l’engagement social vient s’inscrire jusqu’au cœur de notre système nerveux autonome bien en deçà de la raison, de la volonté et des émotions. Il est à la source de notre paix, de notre bien-être et de nos capacités réparatrices. Notre santé en dépend directement : les systèmes nerveux autonome et endocrinien (et donc immunitaire) étant intimement liés.

LA CIVILISATION DU STRESS CHRONIQUE

Et c’est bien là que se situe l’origine de tous nos maux et de toutes nos faiblesses. Nous avons bâti une civilisation qui relègue dans des dépotoirs les anciens dont on pense n’avoir plus besoin, tout comme elle parque les enfants à l’écart afin qu’ils ne nous gênent pas dans notre travail…


Quant aux adultes dans la force de l’âge, elle les oppose dans une compétition sans fin en vue de permettre à certains de dominer autrui et d’accumuler davantage de biens. Nous avons bâti une société érigeant la solitude, l’égoïsme et la prédation compétitive en valeurs. De ce fait, le manque d’intégration psychologique sociale, c’est-à-dire les diverses formes d’isolement individuelles, menace de nous disloquer en nous coupant de nous-mêmes et de notre enracinement humain.

Cette carence de lien social est une des principales racines de l’état de stress malsain chronique dans lequel nous sommes tous plus ou moins plongés, ouvrant la porte aux légions de dérèglements de notre organisme et à toutes les compensations malsaines, physiques et mentales, que nous adoptons pour survivre. A cause de notre stress chronique, que celui-ci s’exerce sur le corps ou l’esprit, et des compensations que nous mettons en place dans l’urgence pour y faire face, nous sommes voûtés, le ventre en avant, les genoux cagneux, la digestion difficile, en surpoids, diabétiques, cardiaques, allergiques, insomniaques, anxieux, colériques, déprimés… Pire encore, nous adoptons des conduites toxiques addictives visant à l’autorégulation immédiate et sans trop d’effort. Le prix à payer est lourd, malgré les résultats à court terme.

Il existe cependant de multiples chemins pour lutter contre le stress chronique et ses effets sans recourir à ces comportements toxiques aux contrecoups terrifiants. Commençons par le commencement. Le corps. L’impact le plus visible du stress chronique auquel nous sommes soumis se trouve dans la posture déficiente et la motricité inhibée. Non seulement, celles-ci sont la traduction de la vie sédentaire qui nous afflige, mais elles reflètent l’anxiété et les inhibitions corrélées qui infectent notre mémoire procédurale. Notre corps porte le poids des « apprentissages » par la peur que nous avons subi et que nous subissons encore. Inconsciemment, nous affichons les réflexes défensifs de fuite ou de combat qui n’ont jamais pu aboutir face aux agents de notre stress chronique devant lesquels nous n’avons pas d’autre choix que de nous figer dans l’hébétude. Nous sommes très exactement dans cet état d’impuissance acquise auquel l’animal entravé doit se résigner face aux stresseurs. La réponse du vivant confronté au stress est toujours le mouvement : que ce mouvement soit bloqué et il se fige dans une posture pénible de tension. S’il n’y a pas d’issue, la seule solution est alors la résignation, l’absence de réaction étant dès lors moins dommageable.

LES CLEFS SONT DANS NOTRE CORPS

C’est ainsi que notre langage corporel exprime les tentatives de défense avortées que nous avons essayées de mettre en place et qui se sont inscrites en nous. Il continue à chercher à se défendre vainement, hors du temps. Inversement, lorsque nous parvenons à corriger notre posture et à retrouver une motricité plus humaine, notre esprit reçoit des informations positives qui seront à la base de notre effort pour nous extraire des effets du stress chronique. Notre esprit reçoit un message de liberté venant de notre perception sensorimotrice. En prenant, d’autre part, pleine conscience de notre expérience corporelle et en particulier de nos mécanismes de fuite, de combat et de figement — à l’autre bout si l’on veut — s’amorce une restauration de notre équilibre interne.

Bien entendu, il n’est pas non plus possible de le recouvrer sans établir un lien social fort et sain, car à proprement parler notre organisme n’est pas « autorégulé » mais collectivement régulé. Et c’est bien ici que se situe la racine la plus profonde de ces problèmes.


Mais, à ce propos, il est nécessaire de s’approprier à un moment donné, sur le chemin de l’équilibre intérieur, des techniques régulant le système nerveux qui passent par notre propre corps, comme les massages myofasciaux et les exercices correctifs, tant posturaux que moteurs. C’est peut-être un peu humiliant pour la discipline de la psychologie, mais le chemin thérapeutique face aux effets du stress chronique passe d’abord par de l’eau froide, des exercices de respiration, une alimentation pauvre en glucide, une petite balle dure, une section de tuyau de PVC, un Medecine ball, une bande élastique, voire de petits haltères… Lorsque l’on agit sur le corps pour l’aider à lutter contre les effets du stress, le corps répercute ces efforts sur notre psychisme tout comme l’inverse se vérifie, hélas. Au cercle vicieux s’oppose un cercle vertueux. La liberté physique de mouvement représente la première étape d’une vie qui cesse de subir les effets des contraintes sur l’organisme imposées par un environnement plus ou moins toxique : désapprendre ainsi en quelque sorte l’impuissance acquise. Ce faisant on ne s’attaque certes pas aux causes ultimes. Celles-ci sont hors de portée. Mais il est possible d’en contrer les effets ici et maintenant, sur nous-mêmes et probablement sur notre entourage. Pourquoi nous en priver. Le cadre qui nous entrave est en lui-même hors d’atteinte, mais ces effets ne sont pas une fatalité.

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